Interview de LIONEL ZINSOU face à la CRISE MONDIALE

 

Lionel Zinsou : « aucun instrument ne doit être refusé à l’Afrique face à la crise mondiale »

Interview de l’économiste, banquier d’affaires et conseiller du président béninois Yayi Boni

Les crises financières et économiques internationales n’épargnent aucune région du monde. L’Europe s’enfonce de plus en plus. La France et l’Allemagne viennent, à leur tour, de rentrer en récession selon les derniers chiffres publiés ce jeudi.
L’Afrique, notamment sa partie subsaharienne, sera plus touchée que prévue, préviennent plusieurs experts. Quelles stratégies devraient adopter les Etats africains en cette période de crise ? Entretien.



samedi 14 février 2009, par Stéphane Ballong


Trouver les bons ajustements face aux chocs provoqués par la crise mondiale, maintenir la stabilité macroéconomique, soutenir la demande, et protéger les plus pauvres. Tels sont, selon plusieurs experts réunis début février, à Paris, par CAPafrique, pour réfléchir sur une stratégie africaine en période de crise, les principaux enjeux auxquels doit faire face l’Afrique pendant cette période de crise. Lionel Zinsou, l’un des organisateurs de cette rencontre, est diplômé de l’École Normale Supérieure de Paris, agrégé de Sciences économiques, d’Histoire économique et d’Économie du développement. Il a été, entre autres, consultant pour le PNUD [1] et chargé de mission auprès de deux ministres français de l’Économie (Laurent Fabius et Pierre Dreyfus). D’après lui, l’Afrique ne doit plus trainer. Elle doit réagir rapidement pour faire face à la crise. Aucune piste ne doit être négligée, estime-t-il. Très impliqué dans le secteur privé, M. Zinsou a été successivement directeur du développement chez Danone, spécialiste des fusions/acquisitions à la banque Rothschild et co-directeur général de Paribas Affaires Industrielles. Lionel Zinsou est également, depuis quelques mois, conseiller spécial du Président béninois Yayi Boni.

Afrik.com : On parle beaucoup des conséquences de la crise sur les économies africaines. Sont évoquées, la baisse de la demande en matières premières, la baisse des investissements directs étrangers. Quel sera, selon vous, l’impact réel de cette crise mondiale sur l’Afrique ?

L’impact de la crise internationale a été sous estimé dès le départ. A l’été 2008, on disait qu’il serait très faible en Afrique. Mais une particularité africaine a échappé à ces analyses : la croissance démographique reste forte sur le continent, soit environ 2,2%. Quand la croissance économique est en dessous de 3%, il y a de fortes chances que la population s’appauvrisse un peu plus. Finalement, on s’est rendu compte que l’impact sera beaucoup plus important. Et l’Afrique rejoindra un peu plus tard les autres pays dans la réflexion pour la relance économique. L’impact est plus ou moins important selon le niveau de développement. Les pays comme l’Afrique du Sud, l’Egypte, l’Algérie, le Maroc, le Nigéria et le Kenya, qui représentent les deux tiers du PIB de l’Afrique, sont plus affectés. La capitalisation de la bourse de Johannesbourg (80% du PIB du continent) a chuté de moitié. Dans les pays les plus pauvres, l’impact de la crise a pris la forme d’une crise de subsistance, d’une crise de la faim. L’envolée des prix des produits alimentaires est une conséquence du mouvement des capitaux spéculatifs vers les marchés de produits de base alimentaires. Dans nos pays, les ménages consacrent 45% de leur budget à l’alimentation. Quand les prix doublent, il est évident que les gens ont du mal à se nourrir.

Afrik.com : Plusieurs spécialistes affirment que les dirigeants africains n’ont pas encore pris la mesure des risques encourus. Pourquoi disent-ils cela d’après vous ?

Les Etats les plus avancés ont pris très vite la mesure du problème. En revanche, les autres ont vécu sur l’idée qu’ils étaient à l’écart du problème. Alors qu’on a commencé à parler de récession dans les pays industrialisés, en Afrique se produisait une surchauffe très forte. Les statistiques ont fait état d’une croissance économique record d’un peu plus de près de 6,5% en 2007. On a eu le sentiment à un moment qu’il y avait un découplage entre les pays riches et les pays pauvres. On a même pensé que cette crise était celle des pays riches. Mais petit à petit on s’est rendu compte que l’Asie allait en souffrir. Les économies taïwanaises, japonaises… sont rentrées en récession. Et au fond, on s’est rendu compte que l’Afrique et l’Amérique Latine ne vont pas être épargnées. Les gouvernements sont comme tout le monde, ils ont été très optimistes. On a mis un peu de temps à comprendre que l’Afrique ne pouvait pas croître à l’écart du reste du monde. Maintenant que nous avons compris cela, nous ne devons plus rester passifs, il faut agir au plus vite.

Afrik.com : En novembre, à Washington, le G-20 s’est réuni pour tenter de redéfinir le système financier international. Mais l’Afrique n’a pas été invitée à cette rencontre. Comment réagissez-vous à cela ?

S’ils veulent résoudre les problèmes du monde, c’est absurde qu’ils n’associent pas l’Afrique. Le continent représente des pans trop importants de l’économie mondiale pour qu’il soit mis de côté. On ne peut pas écarter l’Afrique de ce genre de rencontres.

Afrik.com : Alors que le FMI recommande aux Etats africains d’être judicieux dans leur choix de politique économique pendant cette crise, vous, vous pensez qu’il faut être audacieux...

Ce qu’il ne faut surtout pas dire aujourd’hui, c’est que l’Afrique ayant fait des progrès énormes ces dix dernières années avec, de bon taux de croissance, il faut absolument y maintenir les mêmes recettes et ne surtout pas les changer. Si nous nous disons cela, la situation va se retourner contre nous. Il faut être audacieux, créer des déficits budgétaires pour relancer la demande publique face à une demande privée qui est en panne. En 2007, le continent a affiché en moyenne un excédent budgétaire. Cela ne peut pas tenir debout longtemps. Lorsqu’on est en pleine expansion avec des taux de croissance qui dépassent les 6%, cela peut être excellent. Mais quand la croissance baisse on ne peut pas faire de l’excédent budgétaire. On ne doit pas être timoré, il faut mettre en place une politique d’endettement pour soutenir le secteur privé. Aujourd’hui, ça crève les yeux que le bâtiment est en panne, ça crève les yeux qu’il faut investir dans les infrastructures de transport et dans tous les secteurs vitaux. Aucun des instruments utilisés dans le monde ne doit être interdit à l’Afrique sous prétexte qu’elle est encore fragile.

Afrik.com : Aujourd’hui, on assiste à la nationalisation d’entreprises et de banques en Occident. Pourtant, pendant des années le FMI, à travers ses politiques d’ajustements structurels, a imposé la privatisation aux Etats africains. N’est ce pas injuste pour les Africains ?

Il est vrai que ces privatisations ont eu des effets néfastes. Mais il faut aussi voir leur bon côté, notamment dans les secteurs très concurrentiels. Dans les Postes et Télécommunications par exemple, ces privatisations ont permis des créations d’emplois et des progrès exceptionnels. Aucun Etat n’aurait pu apporter ces investissements dans ces secteurs. Je crois qu’il ne faut pas se refuser l’instrument de privatisation.

Afrik.com : On reproche aussi à l’Afrique de ne pas développer un marché intérieur….


Lionel Zinsou :
En Afrique, nous avons une particularité : l’échange n’a pas lieu sur le continent. Seulement 10% des exportations africaines sont tournées vers le continent. Alors que l’Asie commerce avec l’Asie à 50% et que les échanges entre Européens représentent représente plus de 70% des exportations européennes. C’est ça l’anomalie en Afrique. On n’a pas de marché intérieur. La grande anomalie africaine ce ne sont pas les termes de l’échange. Ils ne seront jamais favorables, il faut vivre avec. Il n’est pas normal qu’on soit la seule région du monde qui ne commerce pas avec elle-même.



16/02/2009
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